La Bruyère rose (vers 1916)

Pastel sur papier marouflé sur toile, 50 x 50

Réalisée vers 1916, il s'agit d'une oeuvre relativement tardive par rapport à l'apogée du mouvement; en effet, à cette époque, les productions symbolistes commencent à devenir plus rares car la réalité de la 1ère guerre mondiale fait redescendre les artistes de leur nuage.

C'est également une réalisation assez tardive dans l'oeuvre de Khnopff, cinq ans avant la mort de l'artiste.

Dans ses paysages, Khnopff s'inspirait surtout des décors de Bruges et des Ardennes. Dans le cas présent, il s'agit d'un paysage de Fosset, lieu où le peintre passait ses vacances, étant enfant.

Il choisissait le paysage davantage pour leur charge émotionnelle que pour leur valeur plastique; il préférait le monde du souvenir qu'il envisageait comme une synthèse du réel. La matérialité, la vie est toujours absente du tableau.

C'est un véritable temple de l'absence: ni vie, ni mouvement, tout paraît inerte. La scène est figée mais non dénuée de sentiments. Le silence, la plénitude transparaît de l'oeuvre. Aucune perspective, aucun volume n'attirent le regard. Seule cette tache rouge qui n'est autre qu'un massif de bruyère peut néanmoins capter notre regard. Il est au centre de tout le tableau et rehausse la courbe du sentier qui se perd à l'horizon. Ce sentier est lui-même perdu dans l'immensité du plateau ardennais.

Un mélange de vert tacheté de rouge sang recouvre la majeure partie du tableau et s'éclaircit en rose et bleu à l'horizon. L'arrière-plan est, quant à lui, occupé par un ciel bleu assombrit de nuages gris. La ligne d'horizon se perd à l'infini pour nous donner une impression d'immensité.

Voici quelques textes que nous voudrions mettre en rapport avec l'oeuvre

Albert Samain, Heures d'été (extrait, in Au jardin de l'infante)

Apporte les cristaux dorés

Et les verres couleur de songe

Et que notre amour se prolonge

Dans les parfums exaspérés.

Des roses! Des roses encor!

Je les adore à la souffrance

Elles ont la sombre attirance

Des choses qui donnent la mort.

Van Lerberghe, Mirage (extrait, in Entrevisions)

Ce murmure n'est pas la voix des eaux,

Ni l'aile des vents en ces roseaux,

C'est une âme qu'un songe iris,

Dont les lèvres jouent avec quelque sons,

Gwendolyn Lacroix et Elodie Perini

Deux textes inspirés par l'oeuvre

Et la vie s'ouvre à moi…

Dans ce tableau, je vois la vie, avec tous ses choix, celui d'aimer ou de haïr, de prendre ou de laisser, de vivre ou de mourir; tous ces choix feront que nous prendrons des chemins différents selon notre décision qui sera peut-être la mauvaise ou pas…

La vie est pleine de clarté, de coins magnifiquement paisibles, comme celui-ci, d'étendues interminables qui nous font ressentir que nous ne sommes qu'un être parmi tant d'autres qui ont l'occasion de contempler un spectacle aussi merveilleux que celui que nous offre la nature, comme sur ce magnifique tableau.

Chaque mystère a sa clé mais encore faut-il la trouver. La vie est un mystère qui nous mène à sa solution, son secret est bien gardé et seul le destin connaît la vérité. Il se joue de nous et de notre vulnérabilité liée à nos sentiments qui peuvent nous élever très loin ou nous enfoncer très bas. Devant nous, la vie est immense et, une fois arrivé au bout, beaucoup se disent: "je recommence".

Les couleurs chaudes et lumineuses de cette œuvre me font penser à l'été dont on profite au maximum avant que l'automne n'arrive, c'est un peu comme la vie dont on ne profite jamais assez.

Ce chemin au beau milieu de la nature mène assurément quelque part mais où? Peut-être nous conduit-il à cette vie polluée, noircie par tous ces gens qui ont choisi des chemins en pensant uniquement à leur bien-être. La ville est probablement au bout, avec ses couleurs tristes de l'hiver, ses grands bâtiments, ses gens pressés, ses animaux perturbés, ses routes. Toutes ces choses qui rassurent l'être humain et qui font naturellement moins peur que cette grande étendue inconnue. Ce petit confort s'offre à eux, pourquoi le rejeter? Pourquoi ne pas en profiter? De toute façon, dans moins de cent ans, ils ne seront plus là pour constater les dégâts. Alors pourquoi se priver? La vie s'ouvre à moi, j'en profite.

Au bout du chemin, il y a la ville où tout le monde est pareil et où personne ne remarque personne, cette vie où personne ne sera là pour vous dire… que la mort était là.

Clémentine Hemeryck

La bruyère rose, ce nom vous évoque-t-il quelque chose ? Je l’ai découverte sur le Net , le plus grand musée de notre siècle. Dans la galerie Khnopff, je me suis arrêtée pour contempler cette toile colorée. Du peintre, je ne connaissais rien si ce n’est le symbolisme de ses dessins. A mi-chemin entre la terre et les cieux, cette peinture fut un régal pour mes yeux.

 D’un point de vue divin, je surplombais le paysage. Je me sentis transportée par cette nature d’où émanait la sérénité. Cette aquarelle me semblait sans limite. Le tableau ne fixait pas le paysage, il le laissait s’étendre au-delà de la ligne d’horizon.

Un arc-en-ciel se diluait sur le sol, ses couleurs se fondaient doucement. Du vert au rouge, du rouge au vert, mon regard chavira. L’écarlate délavé était tacheté d’espérance et l’émeraude souillée de sang : quel curieux mélange ! Deux couleurs que la vie oppose unissaient leurs teintes. A l’horizon, elles s’éclaircissaient. Le rouge tendait au rose et le vert engendrait le bleu.

Cette immensité était partagée par un sentier de lumière. Un rayon solaire s’était abattu sur le plateau. Sinueux, il se perdait en des confins lointains. Une tache rouge accentuait le premier virage du chemin. J’imaginais que jadis un bain de sang avait dû troubler cet endroit paisible et était resté gravé à jamais dans les reflets des bruyères et des genêts.

Le ciel, dernier élément de cet infini, était embué de nuages gris clair qui devaient dissimuler un soleil lointain. Le fond céleste était un mélange de bleu pastel et de blanc, couleurs virginales. La froideur de cette combinaison s’opposait à la dominante chaude du sol.

 Quel génie de la composition, ce Khnopff !

Cette aquarelle est une pure merveille qu’il serait dommage de ne pas contempler…

 Gwendolyn Lacroix